Les tombes à chambre construites du royaume d'Ougarit [retour]



Sophie MARCHEGAY

Les tombes à chambre construites sous le sol des habitations d’Ougarit sont caractéristiques de l’architecture domestique de ce site ; elles témoignent d’une pratique funéraire devenue pratiquement unique au Bronze récent, qui constitue une des originalités de cette cité.

Les plus anciennes tombes à chambre construite découvertes à Ougarit datent du début du XVIIIe siècle av. J.-C. et ont été

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Grande tombe à chambre construite en pierres de taille et voûtée en encorbellement. Tombe 210. Ras Shamra, résidence dite de Yabninou. D’après Marchegay 1999b, p. 49.

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Exemple de tombe à chambre construite en moellons et couverte de dalles. Tombe 401, Ras Shamra, Centre de la ville. Bronze récent 2-3. D’après Salles 1987, fig. 6-7 (tombe 1068).

 

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Tombe à chambre construite en moellons découverte intacte en 1936 dans la Ville basse ouest : tombe 52 (XXV). Bronze récent 1 et 2. D’après Marchegay 2007, fig. 7.

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Collier en argent, cornaline et pierre. Tombe 65 (LIV), Ville basse ouest, 1937. Paris, Musée du Louvre. D’après A. Caubet, notice in Calvet (Y.) et G. Galliano (G.) éds., Le Royaume d’Ougarit : Aux origines de l’alphabet, catalogue d’exposition, ouvrage collectif, Somogy éditions d’art, Paris et Musée des Beaux Arts de Lyon, p. 242.

découvertes dans la Ville basse ; leur importance réside dans le fait qu’elles représentent un nouveau type de pratique funéraire à Ras Shamra et que la plupart d’entre elles ont échappé aux pilleurs, grâce à la protection des constructions du Bronze récent qui se sont superposées aux niveaux du Bronze moyen.

Malgré la diversité des constructions et l’évolution de l’architecture funéraire, celle-ci a conservé le même schéma directeur qui a été fixé dès le Bronze moyen : un puits d’accès ou dromos permettait d’accéder par une porte à une chambre funéraire de plan rectangulaire ou quadrangulaire. L’orientation et les proportions de l’architecture funéraire varient beaucoup car elles doivent s’adapter avant tout aux dimensions et à l’organisation de l’habitat.

L’étude systématique de l’ensemble des tombes à chambre construite des sites de Ras Shamra, Minet el-Beida et Ras Ibn Hani a abouti à la création d’un catalogue de 214 tombes, organisé selon une nouvelle numérotation et rassemblant la documentation disponible sur chaque tombe (notes de chantier, plans, photographies), son contexte archéologique (intégration dans l’habitat) et son mobilier funéraire.
Ces travaux ont montré que le type de caveau le plus courant aussi bien au Bronze moyen qu’au Bronze récent était la tombe à chambre construite en moellons couverte de dalles (181 sur 214). Ainsi, contrairement à l’image véhiculée par les publications des fouilles anciennes, les grandes tombes construites en pierre de taille et voûtées en encorbellement ne sont pas représentatives de l’ensemble des caveaux d’Ougarit : elles sont en effet très minoritaires (33 sur 214) et à l’exception d’une seule tombe, elles constituent des exemples tardifs (XIIIe-XIIe s. av. J.-C. pour la majorité) de l’évolution de l’architecture funéraire ougaritique, dont elles montrent l’aboutissement spectaculaire à la veille de la destruction finale de la cité.

Les rares exemples de tombes à chambre construite découvertes intactes montrent qu’elles accueillaient les inhumations collectives et successives de plusieurs générations. Le corps des défunts était vraisemblablement entouré dans un linceul et/ou habillé (d’après les épingles et fibules découverts dans certaines tombes) et déposé directement sur le sol de la chambre funéraire ; dans des cas plus rares et tardifs ils étaient placés dans des sarcophages en pierre ou peut-être en bois qui n’ont pas été conservés. Le mobilier funéraire qui nous est parvenu est abondant et varié, auquel il faut ajouter les objets en matériaux périssables ainsi que les offrandes d’aliments et de boissons qui ne sont pas conservés. Les vases en céramique (locale et importée) dominent largement le mobilier funéraire, les objets en bronze (vases, armes, outils, parures) étaient fréquents mais la plupart d’entre eux ont été pillés. Les importations et les productions locales d’artisanat de luxe apparaissent fréquemment (souvent sous forme de fragments qui correspondent à des restes de pillages) dans le mobilier funéraire en tant qu’objets personnels ayant appartenu aux défunts ou comme offrandes : objets en albâtre et en stéatite, bijoux en argent, en or et en pierres semi-précieuses, objets en matières vitreuses, en ivoire et en os.

 

L’intégration des tombes à chambre construite dans l’habitat d’Ougarit

L’intégration de sépultures dans un habitat contemporain est fréquemment attestée sur le tell de Ras Shamra dès les premières étapes de l’occupation, depuis les inhumations en pleine terre du Calcolithique jusqu’aux dernières tombes à chambre construite du début du XIIe s. av. J.-C. De plus, le fait qu’aucune nécropole extra-muros n’ait été découverte jusqu'à présent aux alentours de Ras Shamra semble montrer que ses habitants aient toujours voulu conserver les restes de leurs ancêtres à proximité immédiate.

Tranchée « Ville sud », îlot V. Exemple de maison abritant une tombe à chambre construite placée sous deux espaces du rez-de-chaussée. La petite pièce 10 permettait d’accéder à la tombe de façon indépendante, sans passer par l’entrée principale de la maison située plus au sud.
Plan O. Callot. D’après Marchegay 2009, p. 77 et Callot 1994, fig. 38.

Centre de la ville. Tombe à chambre construite 401 (= tombe 1068, Salles 1987) placée sous deux pièces de la maison B. D’après Salles 1987, fig. 3, p. 165.

Schéma de construction de tombe montrant l’édification progressive des parois de la tombe en même temps que les fondations des murs de la maison. Tranchée « Ville sud », îlot XIII, maison B, tombe 512. Dessin O. Callot.
D’après Callot 1994, fig. 279.


Apparue vers le début du XVIIIe s. av. J.-C. à Ougarit, l’usage de la tombe à chambre construite intégrée à un habitat contemporain se développe peu à peu dans cette cité, pour devenir systématique au Bronze récent. Ce type de sépulture pemettait d’accueillir des inhumations collectives et successives pendant plusieurs générations sans pertuber la vie quotidienne dans les maisons. Chaque maison ne possédait pas une tombe, comme on l’a parfois affirmé ; on compte en réalité une moyenne d’une tombe pour deux à trois maisons. Cette proportion varie selon les quartiers, selon la densité plus ou moins importante de l’habitat.

L’intégration de la tombe dans l’habitat était prévue dès le projet de construction de la maison et l’ensemble de la construction « maison+tombe » était très organisé. La place de la tombe dans le plan du rez-de-chaussée, ses dimensions, son plan, la qualité des matériaux de construction et le type de couverture étaient fixés au début du projet de construction de la maison, puisque la construction de la tombe s’effectuait le plus souvent en même temps que les fondations de la maison. Cependant, dans de rares cas, une tombe à chambre pouvait être construite dans un habitat existant , ce qui ne manquait pas d’occasioner de nombreuses difficultés techniques.

La configuration des espaces du rez-de-chaussée qui abritaient la tombe était également planifiée au début de la construction de la maison et répondait à des besoins spécifiques.
Ainsi la chambre funéraire était généralement enfouie et invisible sous le sol d’une pièce qui pouvait être utilisée à des fins domestiques variées. Il est possible que cette pièce ait accueilli de façon occasionnelle des cérémonies funéraires, cependant, ni les fouilles ni les textes ne nous renseignent sur l’existence d’un culte funéraire domestique à Ougarit. Le dromos quant à lui était placé sous une autre pièce, de dimensions plus réduites, dont l’usage était semble-t-il réservé à l’accès à la tombe.
Cette même pièce possédait parfois une entrée indépendante qui permettait de faciliter l’accès direct à la tombe depuis l’extérieur de la maison, sans passer par la porte principale.

Les différentes caractéristiques des tombes à chambre construites sous les maisons d’Ougarit que nous venons de résumer ici témoignent d’une façon générale de la grande cohérence et la parfaite organisation entre l’architecture domestique et funéraire de cette antique cité levantine.


. Par exemple sur l’Acropole la tombe 103 (= VI de C. Schaeffer et 101 de J.-F. Salles), cf. Salles 1987 p. 181-186.
 

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