La religion au royaume d’Ougarit [retour]

Dennis PARDEE

1. Introduction

La religion d'Ougarit représente le seul exemple relativement bien documenté pour la deuxième moitié du IIe millénaire av. J.-C. de la religion amorréo-cananéenne. De plus, la plupart des textes ayant rapport avec la religion pratiquée à Ougarit ont été rédigés dans la langue locale, qui appartient au type ouest-sémitique (comme l'arabe, l'araméen, l'hébreu et le phénicien), alors que les sources plus anciennes sont en accadien ou en éblaïte.



2. Les sources
L'étude de la religion d'Ougarit se fonde sur trois types de sources : (A) architecturales, (B) iconographiques et (C) écrites.
A. Deux grands temples ont été fouillés au cours des missions entre 1929 et 1939 et la possibilité existe que d'autres sanctuaires de moindre envergure aient aussi été mis au jour. Aucun de ces édifices n'a été étudié en détail. Les tombes donnent des renseignements sur des rapports entre les vivants et les morts, car la tombe familiale était enfouie sous la maison, aussi bien les maisons du commun du peuple que le palais du roi (Marchegay).
B. De nombreuses représentations divines ont été découvertes, depuis de petites statuettes jusqu'à plusieurs grandes stèles. Les objets en pierre sont rassemblés dans RSO VI (Yon, éd.), mais il n'existe pas encore une étude globale des objets en métal.
C. Les textes nous informent sur la mythologie et sur la pratique. Une vingtaine de textes sont classés comme mythes (rapports entre les dieux: le cycle de Baal, la naissance de Shahar-wa-Shalim, le mariage de Nikkal) ou légendes (rapports des dieux avec les hommes tels que Aqhat ou Kirta). La pratique quotidienne est révélée par des textes qui règlementent le service rendu publiquement par les hommes aux dieux, par des textes économiques où il est question de l'approvisionnement des dieux et de leurs serviteurs, et par divers textes qui révèlent le besoin de l'homme de s'approprier la puissance divine (incantations, divinations, prières, rites faisant appel à la participation divine).


3. Les pratiques
Le centre de la pratique religieuse était la présentation par les hommes d'offrandes aux dieux. La plus importante de ces offrandes était le sacrifice sanglant d'une bête du troupeau soit en holocauste soit au cours d'un festin sacré où le sacrifice était partagé entre le récipiendaire divin et l'offrant humain avec la participation du personnel saint. Le sacrifice avait lieu sur un ou plusieurs autels situés dans le temple qui portait le nom de « maison » de tel dieu (par ex. bêtu ili, « la maison d'El »).

Le fait que des étoffes/vêtements, des végétaux et des métaux précieux étaient aussi offerts, mais en quantités beaucoup plus restreintes, permet de conclure que l'objectif de ce culte était l'entretien global du dieu alors que son objet ultime était que le dieu à son tour s'occupe de l'homme. Cette motivation est explicite dans une prière qui est attachée au texte rituel RS 24.266, car la délivrance d'un ennemi y est liée directement au fait de présenter sacrifices et offrandes à Baal.
L'homme pouvait aussi accéder aux bénéfices de la sphère divine en consultant les spécialistes de la divination et de l'incantation. Dans le premier cas, on observait un type de phénomènes naturels, par exemple l'aspect de la lune ou un nouveau-né du troupeau qui présente une anomalie physique, et on en déduisait une prescription pour la vie pratique. Un domaine de la divination où sacrifice et observation se rencontraient était celui de l'extispicine (l'examen des organes internes d'un animal). Par exemple, quelqu'un qui voulait poser une question aux dieux amenait une brebis qui était sacrifiée et le spécialiste examinait alors son foie (hépatoscopie) qui portait les indices d'une réponse affirmative ou négative. D'autres spécialistes conjuraient les forces du mal (depuis la maladie jusqu'aux serpents et scorpions en passant par le mauvais œil) par une incantation qui pouvait être inventée et rédigée pour un particulier (RS 88.2014).

4. Les croyances
Les dieux étaient nombreux et manifestaient toutes les caractéristiques d'une société antique : chacun avait son domaine et sa fonction, son origine familiale et cosmique, son lieu de culte principal, ses alliés et ses ennemis, bref sa personnalité individuelle au sein d'une société plus large. Certains paraissaient sous plusieurs manifestations (par ex., Baal était reconnu sous sept manifestations), d'autres sous deux ou trois, d'autres sous une seule.

L'existence des pratiques décrites dans la section précédente montre que les hommes croyaient que les dieux étaient susceptibles de s'intéresser à eux ; les légendes montrent que l'intervention divine pouvait être bénéfique ou maléfique et qu'il importait à l'homme de se comporter envers la divinité de manière à recevoir l'assurance d'un accueil favorable. En revanche, la nature qui entoure l'homme n'était qu'un reflet des rapports entre les divers dieux responsables du cosmos. Pour cette raison, l'homme ne pouvait pas grand-chose contre la sécheresse et rien pour éviter la mort à la fin de ses jours. Néanmoins, la mort n'était pas la fin de l'existence parce que certains, sinon tous, rejoignaient leurs ancêtres dans la terre — les textes sont pourtant très discrets sur la forme que prenait cette vie après la mort et on sait seulement que les ancêtres du roi pouvaient lui transmettre les forces nécessaires pour accomplir son œuvre royale.
L'éthique n'apparaît pas souvent dans les textes, car on n'y trouve aucun traité tant soit peu philosophique ou moral. Aussi, il existe très peu d'indices sur les liens qui ont pu exister entre le culte et la morale, et on ne sait donc pas si le sacrifice sanglant devait non seulement nourrir le dieu et ses serviteurs mais aussi purifier l'offrant de ses péchés.
On sait que le roi, pour participer aux liturgies cultuelles, devait se laver afin d'être pur, mais il n'existe pas d'idéologie clairement exprimée selon laquelle le sacrifice à son tour purifiait l'offrant de ses souillures. Toutefois, on trouve des allusions aux concepts du bien du mal, du péché et de l'iniquité et il paraît certain que les ougaritains établissaient un rapport entre le comportement humain et le bonheur ou la souffrance. Certains passages des légendes où il est question du comportement royal ne laissent pas douter qu'il était du devoir des personnages puissants de soutenir les faibles, en particulier la veuve et l'orphelin et ceux qui étaient sujets à des razzias ou à la servitude pour dettes. D'autres passages laissent entrevoir un rapport entre la rébellion contre un dieu et la punition qui s'ensuit. Bien qu'aucune collection de lois ne soit encore attestée à Ougarit, la comparaison avec ce qui est attesté dans les autres sociétés de l'époque donne à penser que le meurtre, le vol et le rapt étaient réprouvés et punis sévèrement.