Urbanisme et architecture du Royaume d'Ougarit [retour]



Valérie MATOIAN

Ougarit offre l’un des meilleurs témoignages de la période d’apogée, à la fin de l’âge du Bronze, de la civilisation urbaine et palatiale du Proche-Orient, en particulier grâce aux fouilles archéologiques menées depuis 1929 sur le tell de Ras Shamra (la « colline du fenouil »), site de la capitale du royaume. Les archéologues, au premier rang desquels Cl. Schaeffer, ont bénéficié d’une situation archéologique exceptionnelle : la cité des XIIIe-XIIe siècles est accessible directement sous la surface du tell. Détruite vers 1185 av. J.-C., elle ne fut en effet que très partiellement réoccupée ensuite. Un-sixième de l’agglomération, qui s’étendait sur une superficie d’environ vingt-six hectares, est aujourd’hui connu. Une superficie importante fut révélée par l’inventeur du site, qui fouilla la zone palatiale et le Quartier dit résidentiel, l’Acropole et la Ville basse ainsi que les deux tranchées au sud du tell.

Ougarit est l’une des cités du Levant dont l’urbanisme est le mieux connu pour le Bronze récent. Nos connaissances sont fondées sur les recherches archéologiques mais aussi sur l’étude de l’environnement du site et sur la lecture des textes. La situation géographique de la capitale de ce royaume commerçant est particulièrement stratégique : à proximité du cap de Ras Ibn Hani et de l’anse de Minet el-Beida, l’une des plus favorables de la côte, et au débouché des routes venant de Syrie intérieure et de Mésopotamie. Ougarit est une cité côtière ceinte d’un rempart, à environ 800 mètres à l’intérieur des terres, étroitement associée à l’établissement portuaire de Mahadu, mis au jour par Cl. Schaeffer dans la baie de Minet el-Beida.



La vie d’un établissement urbain, dans une région au climat méditerranén typique, est conditionnée par son approvisionnement en eau. L’environnement d’Ougarit est en ce sens très favorable : accessibilité de la nappe phréatique, présence de deux cours d’eau encadrant le tell situé à proximité de plusieurs sources. Enfin, le territoire est riche en ressources minérales et forestières auxquelles ont puisé les constructeurs de la cité. L’architecture d’Ougarit, qu’elle soit palatiale, religieuse, domestique ou funéraire, repose principalement sur l’usage de la pierre, issue des carrières voisines (Mqaté, Minet el-Hélou), et du bois. Les essences identifiées à ce jour sont le pin, le sapin, le chêne et le cèdre.


Les limites de l’agglomération, probablement de plan quadrangulaire, ne sont pas connues avec précision. Le tell est érodé au nord et à l’est et des cultures en occupent la partie méridionale. Les fortifications ne sont connues qu’à l’ouest. Cl. Schaeffer a dégagé, au nord-ouest, l’unique entrée connue de la cité. Un chantier, ouvert récemment par l’équipe syrienne, met au jour la suite de ce rempart vers le sud. L’existence d’autres portes est très vraisemblable et l’on peut supposer qu’il en existait au moins une dans chaque direction, comme on peut le voir dans d’autres cités de Syrie occidentale telle Qatna. La découverte récente d’un pont-barrage sur le nahr ed-Delbé est venue conforter l’hypothèse d’une porte méridionale ouvrant sur la plaine.

 

Pont-barrage sur le nahr ed-Delbé
© Mission Ras Shamra

Plusieurs secteurs ont été reconnus au sein de l’agglomération. La zone palatiale a été construite stratégiquement au nord-ouest du tell : « les rois d’Ugarit connaissant le climat de leur pays ont dû faire élever leur résidence sur cet emplacement, le mieux aéré de la colline » et « d’où l’on jouit d’une belle vue sur l’ancient port (...) et sur la mer au large », comme Cl. schaeffer le précisait. Ce secteur, bien indivualisé du reste de la cité et disposant de son propre accès fortifié depuis l’extérieur, occupe une vaste superfie d’environ 10.000 m2. L’abandon brutal du site a permis une conservation exceptionnelle des vestiges que le visiteur peut apprécier, en particulier dans le palais, dont la magnificence fut vantée dès l’Antiquité ; certains murs y sont hauts de plus de trois mètres. L’architecture palatiale est d’une grande qualité, privilégiant certaines formules dont celle du porche à colonnes. Environ une centaine de loci, répartis en plusieurs unités, ont été identifiés au rez-de-chaussée, niveau surplombé d’un ou de plusieurs étages. Centre politique et administratif de l’État, le palais est aussi la demeure du roi avec ses appartements privés à l’étage, la nécropole royale et des espaces d’agrément tels le jardin ou la salle dotée d’un grand bassin alimenté en eau. À cet édifice étaient associées d’autres constructions ouvrant sur la « place royale » : le sanctuaire palatial, le poste de garde, le bâtiment dit aux piliers...

Palais royal
© Alain Saint-Hilaire

L’éminence au nord-est du tell, appelée « Acropole », est occupée par les sanctuaires principaux de la ville, les deux « temples-tours » dédiés aux dieux Baal et Dagan. Dans le reste de la ville, les fouilles ont révélé différents quartiers d’habitation où les maisons sont réparties en îlots irréguliers délimités par des rues. Des sanctuaires de quartier ont été identifiés dans deux d’entre eux. Les axes de circulation vont de la simple ruelle, d’un mètre de large, à des voies atteignant quatre mètres et plus, comme la rue dite du Palais ou encore l’axe nord-sud en cours de dégagement dans le chantier dit Grand-rue, au sud du tell. L’espace public comprend aussi des places, modestes. Les maisons sont d’une grande diversité dans leur plan, leurs dimensions et la qualité de leur architecture (moellons de pierre ou pierres de taille). Seuls les vestiges des rez-de-chaussée sont conservés mais l’existence d’étage(s) est attestée par la présence d’escaliers dans la plupart des édifices. Les maisons modestes côtoient de grandes demeures au sein d’un même quartier, reflétant peut-être une mixité socio-économique. On observe cependant, dans les environs du palais, une concentration plus forte d’édifices appartenant à des notables proches du pouvoir royal tels Yabninou, Rapanou, Shashapabou.

  Restitution du temple de Baal d'après Olivier Callot (RSO 19)
© Mission de Ras Shamra


Des aménagements hydrauliques témoignent de la qualité de vie des Ougaritains. De très nombreux puits construits en pierre ont été retrouvés dans les maisons, certains étant mitoyens. L’eau de la nappe phréatique superficielle constitue une seconde source d’apports en eau pour les habitants de la cité. À trois exceptions près, tous ont été comblés. En 1951, Cl. Schaeffer dégagea le puits situé dans la grande cour dallée du palais royal dont l’eau alimenta les ouvriers de la fouille. La mission actuelle a eu la chance de découvrir un puits en eau dans le chantier Grand-rue lors de la dernière campagne de 2007. D’autres installations étaient destinées à l’évacuation des eaux usées (puisards et canalisations), les plus sophistiquées ayant été mises au jour dans la zone palatiale.

L’architecture associe étroitement les vivants et les morts dans les villes d’Ougarit et de Mahadu. Une tombe collective a été retrouvée dans de nombreuses maisons, sous les sols du rez-de-chaussée. Le nombre de tombes dans un quartier semble être fonction de la densité de l’habitat. Chaque demeure ne possède cependant pas une sépulture et il est possible qu’une nécropole extra muros ait existé. La tombe, qui comprend un dromos et une chambre funéraire, est prévue dans le projet de construction de la maison. Les sépultures les plus luxueuses sont construites entièrement en pierre de taille. Dans l’une d’elles, dégagée récemment dans une maison jouxtant le rempart occidental, a été faite une découverte exceptionnelle : on a retrouvé les deux battants en pierre de taille de la porte fermant la chambre funéraire. De même, la découverte de sarcophage, tel celui taillé dans la pierre de la Résidence nord, est rarissime.

Ougarit ne donne pas l’image d’une ville figée, mais celle d’une riche agglomération à l’urbanisme dense qui ne cessa d’évoluer. L’étude de l’architecture révèle les stigmates de catastrophes (incendies, tremblements de terre) qui ont entraîné des réaménagements et des reconstructions. On observe aussi dans certains secteurs une densification de l’habitat à la phase finale du Bronze récent. L’étude des objets et des textes mis au jour dans les édifices permet de compléter cette évocation et de faire revivre la cité occupée par une population composite. On peut ainsi glaner quelques renseignements sur les hommes qui ont œuvré à la construction de la métropole. Les textes mentionnent des artisans - tailleurs de pierre, charpentiers, maçons – ainsi que des « constructeurs de maison » qui furent peut-être les maîtres d’œuvre de ces constructions.


La recherche actuelle et à venir vise à réduire les pans d’obscurité qui demeurent encore, par exemple en fouillant la cité du Bronze moyen, mentionnée dans les textes de Mari et d’Alalakh, mais à peine entrevue par les travaux de Cl. Schaeffer et les explorations plus récentes, afin de mieux comprendre l’évolution urbaine au cours du second millénaire. De même, notre connaissance du district urbain de la capitale (villes d’Ougarit, de Mahadu et de Ras Ibn Hani) doit être complétée par celles des autres établissements du royaume dont les textes se font l’écho et dont seuls quelques sites ont été fouillés à ce jour.