Histoire des écritures au royaume d’Ougarit [retour]

Florence MALBRAN-LABAT

Plus de la moitié des documents épigraphiques mis au jour à Ougarit sont écrits dans le système cunéiforme inventé au pays de Sumer à la fin du 4ème millénaire av. J.C.

Cette écriture s'était diffusée au cours du troisième millénaire dans toute la Mésopotamie et, au deuxième millénaire, elle était pratiquée dans tout le Proche-Orient : ces signes en forme de "clous" (c'est le mot latin, cuneus, qui est à l'origine du nom de cette écriture) notaient la langue akkadienne qui avait succédé au sumérien dans le pays du Tigre et de l'Euphrate. Mais elle avait aussi été adaptée à d'autres langues : hittite en Anatolie, élamite en Iran, par exemple.

Et cette diffusion est d'autant plus curieuse que l'écriture cunéiforme était d'une complexité rare : elle était à la fois idéographique et phonétique. En effet un scribe pouvait aussi bien écrire un même mot avec plusieurs signes réprésentant les syllabes qui le composent (“homme" amilu en akkadien était ainsi écrit par trois signes : le signe notant /a/, celui pour /mi/ et celui pour /lu/ : a-mi-lu) ou bien avec un seul signe qui représentait le concept “HOMME". De plus une même syllabe pouvait être notée par des signes différents. La complexité de cette écriture était conçue comme une richesse ; écrire en cunéiforme était une manière de penser et de concevoir le monde. Aussi son évolution ne tendit-elle pas vers une simplification qui l'aurait dénaturée et l'alphabet est né d'une autre démarche intellectuelle.
L'apprentissage des scribes de Sumer, puis d'Assyrie et de Babylonie durait plusieurs années et c'est celui que connurent les scribes d'Ougarit. Il est très vraisemblable en effet que la plupart d'entre eux, même ceux qui pratiquaient l'alphabet inventé sur place, recevaient une éducation traditionnelle à la manière mésopotamienne. Ils connaissaient la langue savante qu'était alors le sumérien comme en témoignent des bilingues, sumérien-akkadien.


Ils apprenaient d'abord à écrire les syllabes (dans des séquences systématiques du type TU-TA-TI, ou UT, AT, IT, voire TUB, TAB, TIB, TUD, TAD, etc, l'écriture cunéiforme ne notant jamais les consonnes seules) ; ensuite ils mémorisaient les idéogrammes tout en acquérant une dextérité certaine pour inscrire l'argile à l'aide de leur calame ; enfin ils apprenaient les formules épistolaires, juridiques ou autres et recopiaient des oeuvres littéraires ou religieuses et rédigeaient des compositions qui témoignent de la réflexion que devaient leur inspirer les grands textes de la tradition érudite.

Au terme de leur formation, les scribes étaient en effet à la fois d'habiles artisans dans la technique des inscriptions sur argile et des hommes de sciences.

ll est curieux de constater qu'à Ougarit, dans les différentes archives où des écrits ont été retrouvés, écriture locale alphabétique et écriture cunéiforme de type mésopotamien coexistent. C'est toujours l'argile façonnée en tablettes, plus ou moins grandes, qui est le support par excellence de l'écrit. Aucun indice ne laisse supposer que le papyrus ait été employé ; en revanche l'on sait que des tablettes en bois et cire, provenant du pays hittite, y furent envoyées.